C’est encore un gros mot. Bouffées de chaleur, sécheresses vaginales, sautes d’humeur, les symptômes de nos variations hormonales sont encore tabous et honteux.
Cecile Charlap, docteur en sociologie et enseignante, démonte dans son ouvrage La Fabrique de la ménopause, les ressorts de la construction de la ménopause. Apparue au 19ème siècle, cette construction sociale et médicale, réduit le corps et l’esprit des femmes à la biologie et à la reproduction.
La ménopause est une construction sociale mettant en scène un vieillissement, celui des femmes…
La ménopause n’est pas un concept universel.
La preuve : elle est venue et pensée différemment dans le monde.
Voici comment la société a fait de cette étape naturelle une maladie et un tabou !
Accrochez vos ceintures !…
Quand on soignait les femmes de l’arrêt de leurs règles avec des sangsues et des saignées
D’abord un peu d’histoire. Avant le 18ème siècle, on l’appelle « l’âge critique » et on ne s’y intéresse pas. A partir du 19ème siècle, on s’intéresse au corps des femmes, les règles deviennent une caractéristique physiologique féminine.
« C’est à partir de ce moment que s’affermissent les représentations du féminin associé à la nature, au corps, à la reproduction, au domaine émotionnel, à l’espace privé, et du masculin associé à la culture, à l’esprit, au domaine rationnel, à l’espace public ». Et voilà, deux catégories distinctes : émotion pour les femmes et raison pour les hommes !
Vous reprendrez bien une petite saignée ou une sangsue ?
Au 19ème siècle, on attribuait à la ménopause les maladies les plus graves. Sans surprise, les femmes devinrent la proie de tous les charlatans et des excès des docteurs (saignées, sangsues). Pour la médecine, l’explication de l’arrêt des règles ne faisait aucun doute : à partir d’un certain âge, les femmes n’avaient plus assez de force pour expulser le sang. Ce sang qui ne s’évacue plus était un poison pour la santé provoquant toutes sortes de maladies : cancers, polypes, fièvres, inflammations, furoncles, hémorroïdes…
Voilà pourquoi encore aujourd’hui, l’idée de se « purifier », de se « nettoyer » par les règles est présent dans nos esprits… C’est en partie pourquoi nous avons l’impression que saigner est « bon » et « souffrir » est bon pour la santé.
Évidemment avec l’arrivée des hormones au 20ème siècle, les industries pharmaceutiques comprennent le potentiel du marché et vont pousser à la médicalisation de cette étape pourtant naturelle.
La « visite médicale de la ménopause » s’impose en Occident comme une étape standard, une norme à respecter.
Dans son enquête, la sociologue auteure de » La Fabrique de la Ménopause » a interrogé des femmes de tous milieux confondus
Son constat prouve encore la construction de la ménopause par la société.
Ce qui est fascinant dans le travail de Cecile Charlap, c’est que la sociologue nous démontre qu’une femme vit différemment cette étape qu’elle soit en ville ou à la campagne. La profession jouera aussi un rôle dans le vécu de cette étape.
Pourquoi le mot ménopause est un encore un gros mot ?
Dans les villes, les femmes vivent sous le feu des injonctions de l’apparence. Alors, la prise de poids, les bouffées de chaleur sont des stigmates qui handicapent. « Une femme au top » telle que la décrivent les médias ne peut pas se permettre de perdre le contrôle de sa silhouette, de ses suées. La ménopause est gênante, c’est un gros mot, une insulte même.
La « honte » fait aussi son travail de sape et les femmes se mettent seules à l’écart, loin des promotions, des réunions et des challenges de la vie…
Voir notre article sur l’urgence à faire évoluer les règles du travail pour les femmes qui souffrent de symptômes. https://www.konenki.fr/un-champion-de-la-menopause-dans-les-entreprises-en-angleterre/
La sociologue note que les femmes qui vivent en ruralité acceptent davantage cette étape naturelle. La ménopause est donc une expérience physiologique – ressentie dans notre corps – mais aussi sociale.
La ménopause est une construction de notre société occidentale. D’ailleurs, les femmes la vivent autrement !
Par exemple, chez les Beti, au Cameroun, la ménopause permet d’accéder au pouvoir, à des fonctions importantes. Chez les Baruya, en Nouvelle-Guinée, ou chez les Indiens Piegan, au Canada, les femmes accèdent à de nouvelles choses, à plus de liberté ! Elles reprennent des affaires, deviennent juges etc…
Dans certaines sociétés, la ménopause apporte même un accroissement des possibles. Dans le Japon traditionnel, l’arrêt des règles n’est l’objet d’aucune attention particulière et n’est pas du tout médicalisé. La disparition des menstruations est intégrée à la notion de « konenki ».
Le terme « bouffée de chaleur » n’existe même pas au Japon.
Pas plus que celui de ménopause… Enfin ça, c’était avant que l’importation de produits pharmaceutiques commence à changer les choses !
Alors que dans nos sociétés occidentales, la chute de nos hormones, qui est naturelle, devient un symptôme à traiter, un problème de santé qui mérite une solution.
Cela rend impossible un discours positif sur cette période.
Comment l’envisager autrement s’il y a un problème à traiter ?
Comment, dans ces conditions, envisager cette phase comme une libération ?
C’est assez vertigineux quand on regarde le phénomène sous cet angle.
Regardez les termes que nous utilisons naturellement, sans y réfléchir.
Ils appartiennent au vocabulaire médical, comme si cette étape était une maladie. Symptômes ? Risques de cancer, d’ostéoporose et en général d’altération de la qualité de vie, comme si cette altération n’était pas le propre du vieillissement mais celui de la ménopause…
Pour la sociologue, le corps de la femme est encore et toujours saisi par la société. Le corps féminin en est un enjeu. Pourquoi devons-nous rendre des comptes sur notre corps, contrairement aux hommes?
Regardez le « double standard » de l’andropause : l’homme n’a pas de comptes à rendre… On n’en parle jamais.
« Dans la manière de parler de la ménopause, on constate très bien l’existence de ce « double standard » selon lequel les femmes vieillissent de manière plus précoce que les hommes et de manière plus déficitaire et désavantagée ».
De façon plus générale, les femmes sont moins libres de leur corps à partir de la puberté :
» Il ne viendrait pas à l’esprit, pour des parents, de demander à leur fils s’il a bien du sperme, ni de l’emmener voir un médecin pour en discuter, alors que le corps et la génitalité des femmes sont investigués et inscrits très tôt dans un contrôle médical ».
Cecile Charlap
Le corps des femmes sous pression et évalué à partir d’un étalon qui ne laisse aucune chance à la ménopause : la fécondité !
À partir de là, la ménopause n’est pas vue comme une nouvelle norme, mais comme une exclusion de cette norme du corps fécond.
Et voilà que le miroir grossissant que pose la société sur nos symptômes met le feu aux poudres !
Pour le chercheur en neurosciences Serge Marchand, spécialiste de la neurophysiologie de la douleur et du rôle des hormones sexuelles dans la douleur, « une même douleur associée à un marathon ne fera pas autant souffrir que celle qui est le signe d’un cancer. Le discours apologisant qui met un miroir grossissant sur nos symptômes met le feu à la fourmilière. La perception culturelle joue sur le ressenti corporel. Chaque fois qu’un événement non désiré survient, si on l’associe à quelque chose de très négatif, il prend de l’ampleur ». En résumé, si la société, la culture, considère comme négative cette étape, notre cerveau ne peut pas assimiler ces changements à du positif !
La ménopause apparaît comme une sorte d’absolu que l’on ne questionne jamais alors qu’elle n’a rien d’universel.
Selon l’anthropologue Daniel Delanoë, c’est aux femmes de se libérer et de créer leur propre image de cette étape. Ne laissons pas cette étape aux mains des industries pharmaceutiques et de la société patriarcale, si nous voulons qu’elle représente autre chose qu’une maladie ou un couloir de la mort.
« Tant que les femmes sont assignées au rôle de mère ou de jolie potiche, elles auront l’impression de perdre toute valeur sociale au moment de la ménopause, percevront l’orée de la cinquantaine comme un « âge critique» et souffriront donc davantage du tableau clinique qui sera le leur, suivant leurs dispositions génétiques ainsi que leur «biologie locale». La ménopause est un point d’accroche de la domination masculine, affirme l’anthropologue. Plus la domination masculine est sévère, plus la ménopause sera difficile à vivre au niveau de l’expérience sociale et de la valeur attribuée à l’expérience physique ».
Biographie
La Fabrique de la ménopause (CNRS Éditions), Cécile Charlap
https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-menopause-est-elle-une-construction-sociale
