Avez-vous du mal à négocier votre salaire, parler à votre banquier, regarder vos comptes en banques, faire des économies ou au contraire vous lâcher un peu ? Le rapport à l’argent, la relation qu’on entretient avec ses finances est loin d’être anodin. Il révèle une grande partie de nos croyances, notre estime de soi.
« On court souvent chercher à l’extérieur ce qui est insécure à l’intérieur »
S’interroger sur notre relation consciente à l’argent et comprendre nos mécanismes peut nous aider à grandir et à mieux vivre avec soi et les autres.
Pas évident, c’est un sujet tabou. Selon un sondage IFOP, 78 % des français pensent qu’être riche est très mal perçu. La directrice de recherche au Cevipof et auteure de L’Argent et nous, Janine Mossuz-Lavau, a mené une grande enquête de deux ans sur le sujet. Un des résultats étonnants de cette large enquête est que les gens ont beaucoup plus de facilité à parler librement de leur sexualité que d’argent !
Entretien avec l’un des rares experts sur ce thème : Christian Junod, économiste de formation et ancien conseiller en placements financiers dans une grande banque suisse. Auteur et coach, il anime des conférences et ateliers sur le thème de la relation à l’argent en Europe. https://cjunodconseil.com
Pourquoi notre rapport à l’argent n’est-il pas neutre ?
Je dis souvent que « l’argent reflète la difficulté à pleinement s’accueillir ».
Ce qui se passe à l’intérieur se reflète à l’extérieur. L’extérieur n’est que le miroir visible de ce que je suis à l’intérieur. Il reflète ce que je suis, comment je me suis construit, mon ego, mon mental, mes croyances.
Notre rapport à l’argent vient nous renvoyer à qui nous sommes au plus profond de nous, à nos peurs les plus profondes aussi. Je vois tous les jours dans mes ateliers à quel point des croyances, des peurs de vie ou de mort se jouent dans les histoires d’argent.
« Gagner sa vie… Est-ce une expression qui veut dire que sans argent, on meurt ? »
C’est un travail de transformation qui est bien plus vaste que les histoires d’argent. Travailler sa relation à l’argent, c’est travailler son rapport à soi et aux autres, c’est se réapproprier sa vie en quelque sorte.
Comment commencer à faire un travail ?
Il faut partir de la matière. Je pars des réalités de chiffres et de la réalité des comportements.
D’abord, observer : « est-ce que je suis à l’aise pour regarder mes comptes ? Comment je me comporte quand je dois poser des chiffres sur ma valeur, quand je négocie mon salaire et mes services ? Que se passe-t-il quand les courriers de la banque arrivent chez moi ?» .
Nous sommes en pilote automatique pour presque 80 % de nos actions. Si on ne s’observe pas, on répètera toujours le même schéma. C’est ma matière de départ, découvrir ce que j’appelle votre « money attitude ».
A partir de cette matière, analyser et faire un travail sur soi pour comprendre ce que ça veut dire sur moi, mes croyances, mon estime de moi-même, l’amour de moi à moi, mes constructions intérieures.
Ce travail de l’intérieur va changer l’extérieur
Nous sommes spontanément dans un esprit de manque ou d’abondance. Pour la majorité des gens, c’est l’esprit de manque qui domine. Logique, notre cerveau qui aide à la survie, met plus l’attention sur les dangers. Les pensées négatives s’accrochent plus que les positives. Cet esprit de manque ou d’abondance plus ou moins fort, nous l’avons tous.
Dans la même situation, une personne va voir le manque, l’autre les possibilités, le plein. On en revient au « verre à moitié vide ou à moitié plein ».
C’est un travail qui commence de soi à soi. Banquier, j’étais moi-même dans ce schéma constant de manque et pourtant j’avais d’excellents revenus. Je n’étais pas assez ceci ou cela, je n’avais pas assez. Si on n’est pas vigilant, on est toujours insatisfait.
« Tant que je ne vois pas que je suis pris dans un piège, je ne fais rien pour sortir du piège »
Thomas d’Ansembourg
Quels sont les comportements qui doivent nous questionner sur notre rapport à l’argent ?
Par exemple, quand on s’entend chercher des raisons à l’extérieur…
« J’aimerais quitter ce travail mais je ne peux pas car j’ai une famille à charge ou un crédit à payer”.
Ecoutez-vous quand vous sortez une excuse qui ne dépend pas de vous. Prenez attention aux excuses extérieures.
Difficile de réaliser que c’est à l’intérieur, que c’est chez nous que cela se passe.
Sortir des situations qui peuvent faire souffrir (un travail que l’on n’aime pas, un supérieur compliqué) relève souvent de peurs intérieures qu’il faut déloger. On se raconte des histoires pour éviter de prendre la décision ou la responsabilité de ces changements. Nous restons une victime pour éviter de nous confronter à nos peurs. Vous voyez, cela parle concrètement d’argent au début mais c’est vraiment logé au plus profond de nous-même.
Les femmes sont-elles plus concernées par un rapport « compliqué » à l’argent ?
Les femmes sont très dures, plus perfectionnistes que les hommes, plus promptes à voir ce qui ne va pas. Elles notent ce qui manque alors qu’elles ont déjà les compétences, les qualités. On en revient à la grande problématique des êtres humains : la difficulté de recevoir.
« La vie nous fait des cadeaux extraordinaires mais nous ne sommes pas capables d’ouvrir « le canal du recevoir » à pleine capacité »
La vie peut nous amener beaucoup plus, pourquoi ne pas s’autoriser à recevoir plus ? J’ai entendu en ateliers « je ne mérite pas, je n’ai pas été aimée »…
Il n’y a pas de raisons pour ne pas changer l’histoire. On a nos traumas, nos croyances, certes, mais ça ne tient qu’à nous de se raconter une nouvelle histoire.
Peut-on changer notre relation à l’argent à n’importe quel âge ?
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut changer. C’est vrai que plus un programme est en marche, moins c’est facile. Mais on peut à tout moment se créer de nouveaux chemins de pensées. Il faut s’observer et se poser aussi les bonnes questions :
C’est quoi la bonne raison pour laquelle je ne m’autorise pas à recevoir plus ?
Quel est le bénéfice caché de ne pas recevoir ?
Les ramifications qui nous ramènent à notre rapport à l’argent peuvent remonter à très loin. Intéressant aussi d’explorer son histoire et la généalogie familiale.
On peut être « bloqué » dans une problématique de loyauté.
Par exemple, ceux qui viennent de milieux financièrement modestes ne vont pas s’autoriser à gagner plus. Sortir du lot fait trop peur. On a peur d’être banni du clan. Revoilà notre instinct de survie qui nous empêche de prendre ce risque. On a du mal à sortir des schémas inconscients transmis par notre histoire, notre généalogie. Il faut oser être « déloyal » pour s’autoriser à vivre autre chose.
Si je suis pris dans ces croyances, comment m’autoriser à être enfin déloyal ?
Il faut bien comprendre le sens de « déloyal » : ce n’est pas un « désamour » ou « manque de respect » mais bien une autorisation à faire autrement.
Au centre de notre démarche : l’amour pour s’autoriser à ouvrir une nouvelle voie d’abondance qui ne concerne pas que l’argent d’ailleurs.
Souvent on remarque chez les femmes une lignée maternelle sacrifiée pour les autres. Cette transmission de valeurs n’a pas besoin de passer par la parole, c’est ce qu’on a vu, nous avons enregistré et donc nous faisons passer les autres avant nous.
Souvent aussi, c’est intéressant, en accompagnant des femmes, je cherche du côté des hommes qu’elles ont attirés. On retrouve souvent des similitudes, des schémas répétitifs.
Il faut s’autoriser à être déloyal envers ces choix inconscients pour pacifier sa relation avec l’argent mais surtout sa relation à soi et aux autres.
« Être conscient de nos plafonds de verre »
Si j’ai entendu toute ma vie qu’avoir de l’argent c’est malhonnête, j’ai ce lien inconscient en moi qu’il faut déloger. Moi, par exemple, je suis issu d’une lignée d’hommes qui ont tous fait faillite. J’ai dû casser ce schéma que je traînais avec moi partout. Ces schémas inconscients, nous les avons tous. Les histoires de loyauté sont des histoires qu’on se raconte.
Comment concrètement se libérer de ce bagage familial ?
Il existe un processus que j’utilise en ateliers et vidéos.
Mais au-delà de ce processus, chacun peut s’observer et établir un rituel, par écrit par exemple, en partant toujours d’un endroit de paix et de bienveillance (il ne s’agit pas d’un rejet).
Mettre par écrit par exemple que l’on respecte et honore les choix qui ont été faits et que l’on s’autorise maintenant à vivre autre chose au service de la vie, la mienne et celle des femmes à venir.
Et puis ensuite, il faut trouver la bonne histoire qui parle de nous. Ça commence par être vigilant sur l’histoire qu’on se raconte. On est en pilote automatique, si on est observateur, alors on n’est déjà plus dans l’histoire. On peut switcher et nommer les choses.
Pacifier sa relation avec l’argent passe par un travail d’amour de soi
Accepter inconditionnellement toutes ces parts de soi qu’on rejette pour cesser de donner un pouvoir à l’argent, qu’il n’a pas. Lui accorder la véritable place qu’il mérite.
“On peut avoir de l’argent et être heureux, mais s’il suffisait d’avoir de l’argent pour être heureux, ça se saurait !”
Nous déléguons en quelque sorte à l’argent trop de choses : nous rendre heureux, être libres, améliorer notre relation à autrui. En travaillant sur l’amour de soi, on reprend le pouvoir et nous créons notre « bonheur ». Nous accordons à l’argent trop de pouvoirs. Vraiment. En travaillant sur soi, en s’acceptant pleinement, on reprend le pouvoir qu’on donne à l’argent et on finit par voir l’argent pour ce qu’il est.
Chemin faisant, on se crée une vie qui a du sens.
Retrouvez Thomas d’Ansembourg en vidéo https://www.konenki.fr/les-talks-de-konenki-avec-thomas-dansembourg-psychotherapeute/