Suivons les précieux conseils de la passionnée Christilla Pellé-Douël pour nous initier à la bibliothérapie !
Et si on profitait de cette période compliquée pour se plonger dans des livres qui vont nous faire du bien ? Les livres peuvent avoir le pouvoir de nous guérir, nous réparer. La lecture peut nous aider à sortir de notre blues, à grandir, nous rendre plus forts et nous apaiser…
Si nous sommes tellement attachés à nos livres, c’est qu’ils peuvent nous aider à développer notre pensée, à nous connaître mieux. Ils sont des alliés incroyables pour nous aider à nous épanouir, nous libérer et même – pourquoi pas ?- tomber amoureux !
Entretien Christilla Pellé-Douël, journaliste en charge des pages livres chez Psychologies, l’auteure notamment de Ces livres qui nous font du bien, initiation à la bibliothérapie.
Nous sommes entourés d’images et d’écrans, pourquoi est-il quand même urgent d’aller vers les livres ?
Il y a eu une recrudescence de la lecture pendant le confinement. J’ai le sentiment que les écrans peuvent avoir un intérêt un moment mais les livres sont une ressource d’un tout autre ordre.
C’est un échange entre le livre et soi, un dialogue muet. On crée ses images et on fait marcher son cerveau.
Pour Umberto Eco, « le livre est un objet parfait ». Quand on y pense, c’est vrai, regardez, la forme du livre n’a jamais changé, parfaitement adaptée à la main et à l’œil humain.
L’univers mental des auteurs nous apportent des choses intimes et personnelles que l’on ne trouve pas ailleurs. Les livres nous parlent de nous. Lire un roman entraîne un processus d’identification qui nous fait éprouver les mêmes émotions que les héros de ce roman. C’est ce qui peut nous aider à nous comprendre, à nous soigner : la bibliothérapie.
Quel que soit le livre, le genre, ça a une vraie résonance.
Vous parlez de compagnons de vie, comment les livres peuvent-ils nous soigner ?
Une série TV, on la regarde. Les images nous sont imposées. Il y a une passivité. Le lecteur, lui, vit une expérience tout à fait différente.
L’élaboration mentale, faite par le lecteur, varie selon chacun et ce qu’il est en train de vivre. L’âge, la situation financière… D’ailleurs, quand on relit un livre qu’on a adoré à 16 ans, on peut le détester ou l’aimer pour d’autres raisons…
Ce sont des accompagnants. Pendant les périodes difficiles comme le confinement, ce sont des véritables soutiens.
Quels livres vous accompagnent ?
Je me replonge souvent dans « Guerre et paix ». Mais pas entièrement, je vais chercher des passages et je suis toujours époustouflée…
» Les Fables de la Fontaine » aussi, par morceaux. Plus j’avance, plus je suis sensible à la langue. C’est vraiment un exemple de la beauté de la langue française : élégance, humour, rapidité. Une syntaxe éblouissante.
Je picore souvent aussi Apollinaire, Aragon.
J’ai découvert une pépite pendant le confinement : Collum Mc Cann « Apeirogon ».
Que pensez-vous du succès des livres de développement personnel ?
Un système de recettes valable pour tous ?
Je n’y crois pas. Le psychisme est beaucoup plus complexe que ça. C‘est vrai que je m’intéresse aux grands classiques de psychologie écrits par des grands noms de la psychiatrie, psychologie et philosophie. Un grand texte de philosophie peut nourrir plus que des choses simples.
Lire des ouvrages de développement personnel, c’est un peu comme manger des plats tout préparés. Je crois qu’il faut faire sa cuisine à soi, avec des ingrédients à soi, qui nous ressemblent.
Comment la bibliothérapie peut-elle aider à nous guérir ?
La fonction du récit est de stimuler le lecteur et sa subjectivité. L’expérience du voyage de la lecture nous fait sortir de la prison du moi. Ce n’est pas un travail facile, la bibliothérapie va nous aider.
Dans ce travail sur soi, je pense qu’il faut être accompagné pour nous aider à élaborer ce qui va surgir. Les livres peuvent être un support pour un travail de thérapie. C’est aussi une des forces des livres : ce sont des outils qui accompagnent la psychothérapie.
Comment trouver le bon livre qui nous fera du bien ?
Encore une fois, il n’y a pas de recettes. Chacun est unique et vit des expériences non comparables. C’est la magie de la bibliothérapie.
Commencez par un livre et apprenez à vous connaître…
Posez-vous de questions : vous aimez ? Oui ? Non ? Pourquoi ?
N’hésitez pas à aller de l’un à l’autre, voir ailleurs.
Un conseil aussi que je donne est d’aller toujours voir dans un ouvrage du côté des liens et des références. Si vous avez un intérêt, vous sentez que votre curiosité est aiguisée et que vous aimeriez en savoir plus, vous pouvez aller picorer de ce côté. Laissez-vous entraîner dans un chemin de découverte.
Par exemple, dans ses livres, Virginia Wolf fait toujours allusion à d’autres auteurs. Mendelsohn lui parle souvent de l’Odyssée, d’Homère. Si vous avez aimé un auteur, plongez-vous dans ses sources directement.
C’est assez simple, si vous sentez qu’à la lecture, ça fait écho en vous, alors tirez la ficelle et suivez la piste. Quand on suit les références d’un livre, c’est comme aller voir des amis qu’on vous a recommandés. On se trompe rarement. C’est une chance, on est entre de bonnes mains !
C’est une quête merveilleuse et réparatrice .
Moi, j’ai coutume de dire que chercher est aussi important que consommer. Cette quête va vous faire découvrir des choses sur vous.
Se laisser porter par le goût de la découverte. Ne rien s’interdire. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas fait de grandes études, qu’on ne peut ne peut pas lire « l’interprétation des rêves » de Freud. N’ayez pas peur de passer d’un univers à l’autre.
Pourquoi, nous les femmes, nous aimons nous prêter des livres et en parler ?
C’est un fait, les femmes lisent davantage que les hommes, c’est du 70 pour 30. Culturellement, les hommes valorisent l’action, les femmes ont une relation plus lente, il y a des temps d’introspection, des pauses, du travail sur soi.
D’ailleurs, pendant longtemps les romans ont été destinés aux femmes. Mais ce chemin doit être fait en accord avec soi. Par exemple, il y a des moments dans la vie où l’on n’a pas la force de lire autre chose que des romans policiers… C’est bien aussi, c’est du compagnonnage !
Quand on traverse une zone de turbulence, la bibliothérapie peut être d’un véritable secours.
Mais je ne fais pas de prescriptions, parce que chacun est unique et il faut trouver ce qui convient à soi.
Un conseil de lecture pour se libérer ?
J’aime les grands romans comme « Guerre et paix » de Tolstoï.
Alors oui, c’est compliqué, c’est écrit en feuilletons. D’ailleurs il faut savoir que l’auteur ne savait pas ce qui se passait au chapitre d’après. Pour entreprendre cette lecture, que vous ne regretterez pas , soyez gentil avec vous-même et prenez le temps…
Une fois qu’on a plongé dedans, on ne s’en sort pas !
Vous découvrirez une chose étonnante : la psyché humaine ne change pas. Quelle que soit la culture, les grandes questions existentielles sont toujours les mêmes. Même en Russie, à l’époque de Napoléon 1er !
Pour retrouver la joie ?
Pour retrouver la joie, j’aime m’évader et parcourir les grands espaces, me plonger dans un bain de nature. J’aime beaucoup, Rick Bass, un auteur qui a écrit le merveilleux ouvrage « Les derniers grizzlys ». Un grand récit d’aventure qui pose aussi des questions essentielles sur l’environnement.
Quand j’ai un coup de blues, je replonge aussi dans la littérature des grands espaces, avec par exemple les nouvelles de Jack London.
La lecture a un effet hypnotique. Difficile de s’en arracher !
Et pour titiller la libido ?
Pendant et après confinement, c’est important !
Je pense à cet auteur qui se réclame encore du surréalisme. Il écrit sous le pseudo de Jacques Abeille (Léo Barthe) et je vous recommande « Le cycle des contrées », la littérature poético- érotico fantastique qui peut se lire à haute voix !
« Les lettres à Lou » de Guillaume Apollinaire aussi, c’est érotique et magnifique…
La force des livres est qu’ils arrivent à formuler clairement, avec force, des choses qui relèvent de « l’impensé » ou du « non formalisé »…
C’est une notre humanité qui est exposée…
Le prix de l’épanouissement est l’effort d’aller chercher. N’oublions pas que les histoires d’émancipation commencent souvent par des livres et se poursuivent grace à des gens qui permettent aux autres de lire ces mêmes livres.
Comme la lecture du « Carnet d’or » de Lessing a pu aider des femmes à s’émanciper.
Un bon texte permet d’avoir une meilleure estime de soi. Réussir à entrer dans l’univers poétique, personnel, c’est une libération de sa propre capacité, une affirmation de sa puissance.
N’ayez pas peur, allez en quête de livres et de vous-même. Traînez dans les rayons, discutez avec les libraires, ce sont eux les meilleurs bibliothérapeutes, ils savent et connaissent les livres. La bibliothérapie commencent souvent avec eux…
« Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux » Jules Renard.